L’Union européenne prétend aujourd’hui représenter, au plan historique, politique et économique, l’unité des nations du continent européen.
Dans l’histoire, plusieurs projets ont été proposés par des dirigeants politiques, des juristes, des intellectuels pour unifier le continent européen sous un même et seul vocable. C’est le projet le plus ancien qui devrait en tout premier lieu retenir notre attention.
En 1465, un peu plus d’une vingtaine d’années après la chute de Constantinople, Georges Podiébrad, roi de Bohême, alors que les troupes ottomanes menacent l’Europe centrale et orientale, propose à l’ensemble des souverains européens un projet d’union politique européenne.
Il se matérialiserait par une armée commune, la frappe d’une monnaie destinée à financer celle-ci, et même d’une Diète pour en assurer la coordination et la pérennité politique. Mais ce projet a une vocation suprême : unir des Etats européens souvent en guerre les uns contre les autres contre ce danger absolu que représentent l’Empire ottoman et la conquête islamique en Europe.
Depuis, les projets européens qui ont été proposés n’ont pas affiché des objectifs aussi tangibles. Le projet de construction européenne, qui a abouti sur la constitution de l’Union européenne, a ainsi été amorcé au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
En premier lieu, il faut tordre le cou à une idée présentée de façon sempiternelle par les eurobéats, selon laquelle ce serait la construction européenne qui aurait apporté de façon durable la paix dans notre continent. Rien n’est plus faux. C’est l’équilibre de la terreur nucléaire qui a rendu tout conflit potentiellement apocalyptique et par conséquent plus qu’improbable.
De plus, le conflit actuel en Ukraine, où l’Union européenne joue un rôle d’accélérateur du conflit alors qu’il faudrait au contraire aller vers son atténuement autant que possible, est la plus emblématique des preuves par l’absurde.
La construction européenne est depuis l’origine le double réceptacle de la revanche de l’Allemagne et de la défense des seuls intérêts des Etats-Unis. Avec une préoccupation récurrente : mettre autant que possible sous l’éteignoir la souveraineté et la velléité de puissance de la France.
Après l’échec de la Communauté Européenne de Défense en 1954, la relance de la construction européenne va alors se faire par la construction du Marché Commun. L’ouvrage est alors confié à Jean Monnet, homme-lige notoire des Etats-Unis, attaché à la disparition programmée des nations européennes dans une structure fédérale absolue.
Le général de Gaulle le qualifiait à cet égard de façon ironique de l’« Inspirateur ». C’est en effet à partir des travaux de la Conférence de Messine, de 1955 à 1957, sous la très forte influence de Jean Monnet, que va aboutir la signature du Traité de Rome instituant la Communauté Economique Européenne entre la France, la République Fédérale Allemande, l’Italie, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique. La CEE prévoit, à l’horizon 1968, la suppression de toutes les frontières tarifaires et douanières dans les six pays membres pour les échanges de marchandises.
Pour ce qui concerne les relations avec les pays tiers – principalement alors les Etats-Unis et dans une moindre mesure, alors, le Japon, qui monte progressivement en puissance sur les marchés mondiaux-, est institué un Tarif Extérieur Commun (TEC).
Celui-ci est censé matérialiser une préférence commerciale entre les six pays signataires. Or, il n’en sera rien. En effet, les Etats-Unis menacent alors de saisir le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce, qu’ils contrôlent totalement.
Le GATT entend imposer aux Etats signataires le principe généralisé de la clause de la nation la plus favorisée, synonyme d’un commerce international à terme sans limites et sans barrières, tarifaires ou non. L’Administration américaine considère en effet que le Traité de Rome, en instaurant une préférence commerciale entre les signataires, est en contradiction avec les engagements du GATT.
Les Etats-Unis font alors une pression inouïe sur les gouvernements européens, leur intimant soit d’abandonner le Traité, soit d’opérer une ouverture conséquente sur l’extérieur corrélativement à la réalisation du Marché commun.
Les Six décident d’obtempérer. Loin de constituer une union douanière et de ce fait un accord de préférence commerciale, la Communauté Economique Européenne va in fine se muer en une zone de libre- échange largement ouverte sur l’extérieur.
Ainsi, le Japon et les Etats-Unis vont bénéficier d’un abaissement considérable du Tarif Extérieur Commun, qui a derechef pour avantage, pour eux, de voir les pays traditionnellement les plus protectionnistes, comme la France, devoir abaisser leurs obstacles tarifaires de façon plus importante pour eux.
La Communauté Economique Européenne ne s’est par conséquent pas faite au bénéfice des pays européens signataires, le principe de préférence commerciale ayant été écarté par l’abaissement considérable du TEC.
Au-delà de cette décision funeste, on aura remarqué tout le jeu décisif des Etats-Unis dans cette étape fondamentale de la construction européenne. L’Italie, les pays du Benelux et à plus forte raison l’Allemagne fédérale, sous la tutelle stratégique et politique de Washington, ne sont pas naturellement prêtes à s’opposer à cette dérive initiale mondialiste et atlantiste du projet européen.
Le général de Gaulle, arrivant au pouvoir peu après, en mai 1958, essaiera – à terme en vain – de remettre en cause les fondations du nouvel édifice. Cependant, ce face à face entre le général de Gaulle et les fédéralistes européens mettra dès lors en perspective le débat essentiel pour les décennies à venir : Europe fédéraliste et mondialiste soumise à Washington ou Europe des Nations indépendante.